Les joailliers à la conquête du web

Publié le par Lynda BOCCARA

Un petit article, publié cet automne dans L’Express, que je ressors des tiroirs à la veille de la Saint-Valentin. On ne sait jamais, ça peut servir !

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Dior Joaillerie et l’horloger Raymond Weil sont déjà sur Second Life. L’avenir de la joaillerie passe plus que jamais par internet. Qui vend ? Qui achète ? Combien coûte un diamant sur internet ? Les avantages pour les cyberclients ? Le marché de le joaillerie en ligne ? Décryptage d’un phénomène made in USA auquel plus personne n’échappe.

Nabucco Island, l’île artificielle achetée par le joaillier Raymond Weil, vous connaissez ? C’est pourtant le dernier rendez-vous à la mode des passionnés de haute joaillerie et de jolies montres. Pour s’y rendre, pas besoin de GPS, ni de carton d’invitation. Un ordinateur et une connexion internet suffisent. Installez le programme Second Life, cherchez “Nabucco” puis cliquez sur “téléportation”. Finis les soucis pour garer sa voiture place Vendôme, à Paris, ou rester en double file sur Oxford Street, à Londres. Ici, dans Second Life, vous arrivez au coeur de l’espace Raymond Weil, dans le “lounge RW “, en quelques secondes. C’est tellement plus chic. Avec un peu de chance, vous pouvez même être accueilli par

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“Snow Dixon”, l’avatar de Karim Bachar, responsable au sein de l’agence multimédia E-citron basée à Genève de la communication interactive du célèbre joaillier suisse. Habillé en “friday wear”, à la fois élégant et décontracté avec une veste noir sur un tee-shirt blanc, “Snow Dixon” ne ressemble pas vraiment aux vendeurs en costume Prada ou Dolce Gabana que l’on rencontre chez les bijoutiers de la Cinquième avenue à New York. “Ici, ce n’est pas un lieu de vente“, s’empresse-t-il de corriger, “c’est avant tout un espace pour découvrir Nabucco, la dernière collection de montres de Raymond Weil.” Un show-room numérique, en somme. Ouverte à la mi-septembre, l’île se compose de plusieurs plates-formes interactives et ludiques qui permettent chacune à leur manière de découvrir un aspect différent de la collection : un labyrinthe virtuel inspiré des matériaux utilisés dans la conception des montres, un “Movie Theatre” pour découvrir un vrai film de 4 minutes sur la collection Nabucco , des couloirs de verre pour découvrir les détails des pièces présentées, etc.

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Nabucco, c’est un coup médiatique avant tout, à l’image de l’initiative de Victoire de Castellane qui avait elle aussi choisi, en janvier dernier, de présenter la collection 2007 de Dior Joaillerie en avant-première sur Second Life. 2000 journalistes avaient été invités à se téléporter sur Belladone Island pour découvrir en direct, et en exclusivité, les reproductions virtuelles de quatre des dernières pièces de la célèbre créatrice parisienne. “Victoire de Castellane avait décidé de montrer une collection extrêmement étrange sur le thème des plantes carnivores, se souvient-on chez Dior Joaillerie, “elle n’était pas attirée par l’esthétique de Second Life, mais cet univers lui offrait la possibilité de créer un monde bizarre, différent, lointain, qui correspondait bien avec l’esprit de la collection.” Un beau coup, en effet, en terme de communication : la presse du monde entier et des centaines de blogueurs influents ont repris l’information. “L’avenir de Dior Joaillerie ne passe par internet“, assure-t-on pourtant au service presse du joaillier, “Second Life, ou un site de vente en ligne, ne remplacera jamais un vrai magasin : nous avons une poésie dans nos boutiques que nous ne pouvons pas reproduire sur le web.”

 

Des diamants sur internet

 

Une vision que ne partage pas tout à fait

Alexandre Murat, à la tête d’ Adamence, une marque de joaillerie 100% en ligne créée en 2005 : “Internet permet au contraire de toucher une nouvelle clientèle plus jeune, des cyberacheteurs parfois pressés qui n’ont pas forcément le temps de courir d’une joaillerie à une autre pour choisir un bijou, ou pour qui l’acte d’entrer dans une joaillerie reste quelque chose d’intimidant.” Diplômé d’HEC et issu du monde de l’économie, Alexandre Murat vend essentiellement des diamants. Sa plus grosse vente ? Un joyau de 6 carats vendu un peu moins de 100 000 €. “Exceptionnellement, le client est venu récupérer le diamant en main propre dans notre show-room parisien ! ” se souvient-il.

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D’habitude, la moyenne des ventes tourne plutôt entre 1500 et 3000 €. “Internet offre l’avantage de l’interactivité, poursuit-il, les clients ont la possibilité de créer leur propre bijou en ligne, de dessiner la forme du diamant, de nous envoyer par e-mail un croquis de la bague de leur rêve, de visualiser les reflets de la lumière à travers une projection en 3D etc…” L’enjeu de la vente en ligne consiste avant tout à rassurer des clients parfois inquiets d’acheter sur internet sans pouvoir toucher le bijou ni serrer la main du vendeur. “La confiance est au coeur du succès ou de l’échec“, confirme le créateur d’Adamence qui a trouvé la solution en proposant 30 jours d’essai. Après avoir obtenu par internet une copie scannée du certificat d’authenticité, le client reçoit le diamant directement chez lui et dispose alors d’un délai d’un mois pour dire s’il le conserve ou non. En économisant sur la gestion d’une boutique physique, internet permet en outre de proposer des prix inférieurs de 20 à 40% aux prix du marché. “Nous ne faisons pas non plus de campagnes publicitaires dans la presse, nous nous limitons à acheter des mots clés sur Google ou à mettre en place des partenariats avec d’autres sites“, ajoute Alexandre Murat, formé au pays de l’Oncle Sam et très confiant dans l’avenir.

Aux Etats-Unis, les ventes de joaillerie en ligne ont atteint 4 milliards de dollars en 2006 et représentent 6,7% du marché total de la joaillerie. En Europe, les analystes prévoient une hausse plus lente mais similaire du marché de la joaillerie en ligne qui pourrait représenter 5% de l’ensemble des vente d’ici cinq ans. Selon les estimations, le marché outre-Atlantique pourrait même s’envoler jusqu’à 8,5 milliards en 2011. Les leaders de la “jewellery on-line” affichent un succès insolent et des chiffres de vente exorbitants. Avec un choix de plus de 60 000 diamants certifiés et un chiffre d’affaire de 300 millions de dollars, le site BlueNile.com est de loin le plus grand détaillant en ligne de diamants au monde. La vente de bijoux sur internet est un nouvel eldorado. Du coup, à Wall Street, personne ne s’étonne de voir l’adresse Diamond.com s’échanger pour 7,5 millions de dollars (le nom de domaine uniquement), presque aussi cher que… Sex.com vendu en 2005 pour 12 millions !

Le luxe à portée de clic

Le luxe est le dernier secteur à avoir investi le web“, analyse Laurent Heckmann, responsable de la régie internet Andrea Media spécialisée dans le luxe, la culture et l’art de vivre ainsi que l’accompagnement des marques sur Second Life. Ses clients s’appellent Boucheron ou Cartier. “Internet est vraiment quelque chose de récent dans les stratégies de communication de la haute joaillerie. Il y a encore 2 ou 3 ans, il y avait peu de sites susceptibles d’accueillir des campagnes haut de gamme. 

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La technologie et la conception des sites web ne correspondaient pas à l’image du luxe. Comme pour les magazines, nos annonceurs recherchent sur internet des habillages particuliers et des formats de publicité qui sortent de l’ordinaire pour transmettre une émotion particulière.” Même si l’on trouve encore peu de sites “lifestyle”, Laurent Heckmann se réjouit du lancement en France de nouveaux sites dédiés au luxe comme Myprestigium.com qui compte déjà 80 000 visiteurs uniques par mois.

Fondateur du site concurrent Firstluxe.com, Bruno Haziza est aussi celui qui a convaincu le Maître-joaillier Edouard Nahum d’ouvrir sa première boutique sur internet. Il se souvient : “C’était en 2004, Edouard Nahum ne disposait que de deux boutiques sur Paris et je me suis dit qu’internet pouvait nous offrir une plus grande visibilité, une vitrine permanente.” Le premier bilan est positif. Au bout de trois à peine, l’e-commerce représente déjà 3% du chiffre d’affaires de l’entreprise (11 millions d’euros). Edouard Nahum réalise désormais sur le web entre 100 et 150 ventes par mois pour un budget compris entre 300 et 10 000 €. Surtout, grâce à internet, le joaillier parisien est parvenu à toucher une clientèle nouvelle. Moins d’un acheteur sur trois vit sur Paris. Directeur général de “ La boutique des joailliers ” sur internet, Thierry Valat est lui aussi convaincu que ce nouveau medium est avant tout une chance pour les petites joailleries qui n’ont pas la force de frappe commerciale des grandes marques. “Au tout départ, nous avons d’ailleurs monté notre site pour une marque qui ne disposait d’aucun point de vente, explique-t-il, nous avons ensuite proposé à une quinzaine de petits joailliers confrontés eux aussi à des problèmes de distribution de se regrouper avec nous.” Aujourd’hui, internet permet à La boutique des joailliers de toucher une clientèle internationale. Les clients habitent le fin fond de l’Auvergne, la Malaisie ou encore Koweit City. “Les gens apprécient chez nous le choix et la rapidité. Ils n’ont pas besoin de se déplacer et ils ne font même pas la queue dans notre boutique !” Thierry Valat se souvient d’ailleurs d’avoir vendu un bijou à un fonctionnaire français du ministère de la justice,  Place Vendôme à Paris, qui préfère acheter par internet plutôt que de traverser la rue.

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Place Vendôme justement, Mauboussin fut le premier à se lancer cet été à la conquête du web pour sa collection d’alliances. Alain Némarq, le directeur général du joaillier installé depuis 1827, est enthousiaste : “Internet est synonyme d’ouverture et nous permet de toucher une clientèle plus jeune. Pour les bagues de fiançailles, il y a une vraie corrélation entre notre cible marketing et le public internaute.” Reste une difficulté majeure à ses yeux : “il faut que nous apprenions à gérer les sentiments de manière à ce que l’internaute ressente la même émotion en parcourant un site qu’en passant que devant une vitrine.” Une question que se pose également  Boucheron, son voisin de la Place Vendôme, qui vient de se lancer à son tour dans l’aventure internet. Inaugurée le 16 septembre dernier, la boutique en ligne Boucheron.com offre à des clients des quatre coins du monde le luxe et l’opportunité d’effectuer leurs achats jusqu’à 10 000 €, confortablement installés dans leur salon, leur bureau ou leur jet privé. Au-delà, un rendez-vous dans une boutique physique est obligatoire. “Vendre sur internet est tabou pour de nombreuses marques de luxe, déclare Jean-Christophe Bédos, PDG du célèbre joaillier parisien,plutôt que de rester dans la posture des acteurs de ce marché, un peu méprisante vis-à-vis du e-commerce, nous avons décidé de nous mettre à la place de nos clients“. L’avenir du web s’écrira-t-il en lettres d’or ?

Bruno Fay 

 


Publié dans Les Auteurs

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